Après de nombreuses semaines sans avoir écrit sur des maths, ni même sans avoir écrit tout court d’ailleurs, je vous propose cet article sur une question simple mais avec un twist qui rend les choses beaucoup moins évidentes ! Vous vous souvenez sûrement que j’aime bien séparer les choses en deux parts égales, eh bien là c’est reparti !
C’est quoi le problème ?
Le problème, c’est qu’avec ma copine, on a fait une pizza. Au fil de la semaine, on a mangé chacun des bouts de temps à autre, et là on arrive à la fin. Et arrivé à la fin, on se dit qu’on se partagerait bien la dernière part.
Alors évidemment, toute personne normale ne se poserait pas plus de questions que ça et la couperait en deux en passant par la pointe. Mais voilà, j’ai décidé de me lancer un petit défi :
Comment couper la part de pizza en 2 par égales … en coupant parallèlement à un bord ?
Schématiquement, ça ressemblerait à quelque chose comme ça :
Sur ce schéma, ABC représente la part de pizza initiale, et la droite (DE) représente la ligne de découpe. On se retrouve alors avec deux parts, délimitées respectivement par ADEC et DEB. La question est alors : comment couper pour que ces deux parts soient égales ?
Mise en équations
On va commencer par définir l’angle de la part de tarte, qui correspond à BÂC ici, et que je vais appeler phi. Ensuite, je définis AB = L, et donc puisque nous avons affaire à une pizza circulaire, AC = AB = L.
Ensuite, je vais définir un paramètre alpha qui correspond au rapport AD/AB. alpha varie donc entre 0 (D=A) et 1 (D=B). Ces deux cas extrêmes reviendraient à ce que l’une des deux parts ait une aire nulle, ce qui ne serait pas top pour la cohésion de couple comme vous l’imaginez.
Maintenant, puisque la droite (DE) est parallèle à (AC), elles ont la même pente, qui vaut tan(phi) ici. Cependant, la valeur où cette droite vaut 0 (le point D), dépend de la valeur alpha. Une manière de l’écrire est ainsi :
Enfin, il nous faut l’équation du cercle de centre A et de rayon L. En plaçant A à l’origine, on se retrouve avec l’équation suivante :
Avec ça, on a tous les outils, on va pouvoir passer à la résolution !
C’est parti pour la découpe !
La première chose que je vais faire, c’est trouver les coordonnées du point E. Puisqu’E est l’intersection entre la droite parallèle à (AC) passant par D et le cercle, il faut que son x et son y vérifient les deux équations que nous avons vues au-dessus ! Pour ce faire, on va reformuler la première équation ainsi :
Maintenant, on va pouvoir injecter l’expression de x dans l’équation du cercle, ce qui nous donne ceci :
Cette forme a un avantage et un inconvénient. L’avantage, c’est que, si vous avez de bons yeux, vous voyez que c’est un polynôme du second degré ! C’est une bonne nouvelle car dès le lycée, on sait résoudre ce genre d’équations ! Mais l’inconvénient, c’est que les solutions sont assez « moches ».
Avant de vous les montrer, vous vous souvenez peut-être qu’il y a plusieurs possibilités pour les solutions d’un polynôme du second degré :
- soit deux racines complexes conjuguées,
- soit une racine réelle double,
- soit deux racines réelles.
Je ne vais pas le présenter ici, mais si vous faites le calcul, vous trouverez que, si alpha varie entre 0 et 1 comme je l’ai défini, notre polynôme aura toujours 2 racines réelles. C’est quelque chose qui se comprend bien visuellement : si on fait passer une droite dans notre cercle, elle va le couper en 2 points 🙂
Il y a donc deux points, mais l’un deux ne représente pas la réalité ! En effet, bien qu’il existe mathématiquement, il est hors des limites réelles de notre pizza. Il n’y a donc qu’une seule solution du polynôme qui nous intéresse, c’est celle-ci :
Pour arriver à cette solution sans vous tromper, vous pouvez utiliser votre temps et votre courage, ou alors utiliser un logiciel de calcul formel. C’est un logiciel qui vous permet de résoudre facilement des équations, et il fait a priori beaucoup moins d’erreur que nous les humains !
Allez, on s’approche de la solution ! Maintenant qu’on a découpé, on a besoin de l’aire de notre nouvelle part pour la comparer à l’aire de la part complète ! Pour y arriver, on va faire un petit pas de côté et définir un nouvel angle ! Vous vous souvenez de mon schéma au-dessus ? Eh bien, on va rajouter un nouveau segment !
Ici, on a rajouté le segment [AE], ce qui permet de mettre en évidence l’angle BÂE, que je vais appeler psi par la suite. Pour calculer l’angle psi, on peut passer par sa tangente, qui est :
Or, ne l’oublions pas, E appartient au cercle, on a donc :
Ce qui permet de transformer l’expression pour obtenir :
Grâce à psi, on peut calculer l’aire de BAE, il s’agit de :
Mais ça n’est pas tout à fait ce qu’on veut ! Nous on veut l’aire de la petite part BDE ! Pour cela, il faut retirer l’aire du triangle ADE, qui heureusement se calcule assez facilement :
Enfin, il nous faut l’aire de la grande part de pizza, c’est-à-dire ABC, qui se calcule comme celle de BAE, mais avec l’angle phi :
Et donc comment on a deux parts égales ?
Si on veut avoir deux parts égales, il faut que l’aire de BDE corresponde à la moitié de l’aire d’ABC. Écrit mathématiquement, ça signifie :
Cette équation revient à écrire :
L’avantage de cette équation, c’est qu’on voit qu’on peut mettre L^2/2 en facteur des deux côté, donc on se ramène à l’équation suivante :
C’est fou ! Cette équation paraît si simple ! Et pourtant, il y a tellement de choses cachées dedans ! Repensez à l’équation du cercle, à l’équation de la droite parallèle et aux calculs d’aire ! Et finalement, tout ça tient en quelques caractères, c’est dingue !
Alors oui, c’est bien beau, mais encore faut-il pouvoir résoudre cette équation. Et c’est une autre paire de manches ! N’oubliez pas qu’ici, on cherche alpha qui représente la distance à laquelle on va couper par rapport à la point de la pizza. On pourrait croire qu’il n’apparaît qu’une fois, mais n’allez pas si vite !
Vous voyez l’angle psi ainsi que son sinus dans l’équation ? Souvenez-vous que psi a été définit à partir de yE, et l’expression de yE dépend aussi de alpha ! Donc en fait, même si ça ne se voit pas directement, psi dépend de alpha ! D’ailleurs, il dépend de phi aussi ! Donc en fait, l’équation est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît !
On passe à la résolution !
Pour résoudre cette équation, je me suis donc (une fois de plus) fait aider par mon fidèle ordinateur. Puisque je n’ai pas (encore ?) trouvé d’expression exacte de alpha qui permette de le calculer directement en fonction de L et phi, j’ai utilisé la méthode de la dichotomie. Comment marche cette méthode ? Je vais essayer de vous l’expliquer un peu.
Tout d’abord, je choisis un angle phi. Ensuite, je choisis deux valeurs de alpha pour démarrer : 0 et 1. Pour rappel, ce sont deux cas extrêmes qui correspondent respectivement à :
Évidemment, ces deux solutions ne sont pas justes ! La première est largement au-dessus de 0,5 et l’autre est largement en-dessous. Mais ça me donne une indication : puisqu’il y a une valeur au-dessus de la solution et une valeur en-dessous, je sais qu’il existe une valeur de alpha pour laquelle il existe une solution ! Seulement, je ne sais pas encore où elle est. Alors je vais regarder à un alpha situé au milieu de mes valeurs initiales. Ici, alpha = (0+1)/2. Je fais à nouveau le calcul et je regarde le résultat que j’ai.
J’ai deux possibilités : soit l’aire de ce point intermédiaire est plus grande que la moitié, soit elle est plus petite. Si je suis dans le premier cas, mon nouvel intervalle de recherche pour alpha va être [0; 0,5]. Sinon, ça sera [0,5; 1]. Et avec ces deux valeurs, je peux recommencer le processus !
Petit à petit, l’intervalle va se réduire autour de la « vraie » solution ! Même si je ne connais pas l’expression exacte de ce fameux alpha, je vais pouvoir m’assurer qu’il est dans un intervalle. Et si cet intervalle est suffisamment petit pour moi, je prends la moyenne des deux alpha et je dis que c’est la meilleure approximation de la solution réelle.
Mais ce processus ne marche que pour un angle ! Donc ça veut dire que je vais devoir recommencer pour chaque angle phi ! Entre le fait qu’il y a un calcul pour chaque phi, et que pour chaque phi il y a plusieurs centaines de calculs pour approximer alpha, vous comprenez que j’ai besoin d’un ordinateur !
Et après de nooooombreux calculs, je suis fier de vous présenter le résultat de toute cette étude en une courbe !
La courbe se lit de la manière suivante : il faut choisir un angle entre 0 et 90° sur l’axe horizontal. À partir de cette valeur, on trace une ligne verticale jusqu’à atteindre la courbe. Dès qu’on touche la courbe, on trace une ligne horizontale jusqu’à revenir à l’axe vertical. On va trouver une valeur de alpha qui sera un pourcentage, et qui nous indiquera donc la position du point D. Grâce à ça, on saura que les deux parts de pizza ont la même aire !
Ça y est, on y est ! Je vous cache pas que, même si je suis content d’y être arrivé, je suis presque déçu quand je vois cette courbe ! Je m’attendais à quelque chose de plus exotique, là on voit une courbe qui est quasiment constante pour toutes les valeurs de 0 à 90°, ça me donne un peu le sentiment de « tout ça pour ça ? » ! C’est vrai quoi, avec la courbe, on se rend compte qu’en coupant à peu-près à 1/3 de la longueur, on n’est pas si loin quelque soit phi. Mais bon, cette courbe nous réserve de nombreuses surprises !
Quelques détails, et quelques suites pour continuer
Déjà, je vous dis « entre 0 et 90° », mais c’est un peu plus compliqué que ça !
Tout d’abord, la courbe est un peu trompeuse car je n’ai pas calculé de valeur pour phi=0 ! La raison est simple : si phi = 0, ça veut dire qu’il n’y a pas de part de pizza, donc impossible de couper une non-part en 2 ! Par contre, et je trouve ça très intéressant, on voit que notre courbe tend vers une valeur constante ! D’après mes premiers calculs, il semblerait que l’on puisse écrire ceci :
Mais je ne suis pas sûr de ma preuve, donc je vais continuer à la chercher, et je verrai si je trouve la solution !
Ensuite, je vous dis 90°, mais là encore ça n’était pas si évident ! En effet, pour les personnes attentives, si phi=90°, tan(phi) n’est pas définie ! Heureusement, on peut modifier l’écriture de yE pour faire disparaître ce tan(phi), et ainsi rendre le calcul possible pour cette valeur particulière. C’est intéressant car on peut calculer les coordonnées du point E alors même que l’équation de la droite n’est plus valide !
Enfin, l’autre piste que je souhaite regarder, c’est ce qu’il se passe si phi > 90° ! Mon intuition me dit que, si j’ai bien codé ces équations, alors tout devrait bien se passer jusqu’à phi = 180°, mais je ne l’ai pas vérifié ! En revanche, si phi est supérieur à 180°, je crois que la méthode actuelle ne marche pas … et d’ailleurs je pense qu’on doit pouvoir prouver qu’il n’existe pas de solution mathématique … Mais bon, pour revenir à la réalité, est-ce qu’on peut encore parler de « part de pizza » si celle-ci fait plus de 180° ? Pour des valeurs aussi grandes, la méthodes classique de la découpe à la pointe suffit !
Conclusion
Et voilà pour cet article ! Ça faisait longtemps que j’avais ce problème en tête, mais initialement j’étais parti sur l’aire du triangle BDE et je butais pour trouver le petit morceau d’aire à rajouter ! Finalement, je me ramène à quelque chose de plus simple, même si les expressions mathématiques sont complexes.
D’ailleurs, comme je le disais, je suis assez surpris l’écart entre la complexité de la courbe et la complexité des équations. Lorsque je vois ça, je me demande si j’ai pris le bon chemin pour résoudre ce problème.
Et enfin, cette histoire de limite finie en 0 me semble dingue ! Je n’ai pas fait de tests, mais je me demande si elle vaut pour toutes les séparations, et pas juste 50/50, ou si justement ça change. Et, quelque soit la réponse, je me demande comment l’interpréter !
Bref, j’espère pouvoir vous en dire plus prochainement ! D’ici là, c’est le clap de fin pour cet article ! J’espère qu’il vous aura intéressé autant que moi, et j’espère pouvoir vous raconter la suite dans un prochain article ! À bientôt !
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