Enseignement vs. Formation

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Cette semaine, je propose une réflexion suite à une discussion que j’ai eue avec une personne qui travaille dans le même labo que moi sur la différence entre l’enseignement et la formation, et les conséquences que ça a sur les formations par apprentissage.

Le contexte

Lorsqu’on part manger le midi, chacun raconte ce qu’il a fait ou ce qu’il va faire. Et là, une personne du labo racontait que dans l’après-midi, il allait devoir rencontrer les maîtres d’apprentissage de l’IUT dans lequel il travaille.

S’en suit toute une discussion sur l’intérêt ou non de l’apprentissage. Je lui raconte qu’à la fin de ma première année d’école d’ingé, l’école avait ouvert une formation par apprentissage. Sauf que je ne pouvais pas intégrer cette formation en deuxième année. Soit je redoublais pour refaire une première année, soit je ne faisais pas d’apprentissage.

J’ai finalement choisi la deuxième option et j’ai terminé mon cursus trois ans plus tard. Et parfois, je me demande quelles auraient été les différences si j’avais redoublé ma première année et suivi cette formation. En m’entendant lui raconter tout ça, il me répond :

Ouais, je sais pas … J’ai toujours été un peu partagé sur l’apprentissage …

Ok, un maître de conf qui s’occupe d’une filière par apprentissage, qui s’apprête à faire une réunion avec plein d’industriels, me dit qu’il est partagé ? Ça pose question. Et notre discussion est partie de là.

Les avantages de l’apprentissage

De mon point de vue, l’un des avantages réels de l’apprentissage, c’est le fait de pouvoir être directement immergé dans une entreprise. D’un côté, ça offre une application concrète des études que l’on suit et ça peut contribuer à renforcer l’intérêt pour celles-ci. De plus, ça permet aussi de se faire une vision du monde de l’entreprise, avec ses contraintes, ses enjeux politiques, ses habitudes, etc.

Et évidemment, l’autre avantage est que ça apporte une certaine autonomie puisqu’un apprenti est rémunéré. Si l’entreprise est dans la même ville que l’établissement de formation ou si elle est dans une ville pratique pour l’étudiant.e (ex : près des parents), ça permet d’avoir une vraie source de revenus et d’être plus autonome. Bon, si c’est pas le cas, ça fait double loyer à payer, c’est un peu moins pratique, mais ça renforce tout de même l’autonomie.

Sur ces aspects, lui et moi étions plutôt d’accord. Mais il a amené un autre argument auquel je n’avais pas pensé.

Le risque de l’apprentissage

Cette fois, l’argument est plutôt philosophique. Selon lui, l’école (au sens large, ça peut être une fac ou n’importe quoi) est le lieu où on a le droit à l’erreur. Par définition. Alors que dans une entreprise, la marge d’erreur est beaucoup plus réduite. C’est le revers de la médaille de ce que je disais au-dessus sur l’aspect d’avoir une application concrète.

Et c’est là qu’il a amené une nuance entre les notions d’enseignement et de formation. Selon lui, l’enseignement consiste à apprendre quelque chose dans un environnement où on a le droit, voire même où c’est recommandé de se tromper. À l’inverse, la notion de formation renvoie à l’idée qu’on va t’apprendre à exécuter quelque chose, mais il n’y a pas forcément cette notion d’essai/erreur ou l’idée qu’on comprend profondément ce qu’on apprend.

J’ai trouvé cette distinction très intéressante et ça m’a permis de nuancer ma vision de l’apprentissage. J’étais souvent convaincu que s’appuyer sur une entreprise permettait d’ancrer un projet dans « la réalité ». Finalement, cette manière d’agir a aussi ses limites.

Donc voilà où s’est arrêté notre discussion, puisqu’entre temps, nous avions atteint le stand de kebab et nous parlions déjà d’un autre sujet (comment définir le taux de réussite d’une formation). Mais en écrivant tout ça, je repense à une idée que j’ai trouvé dans un article que j’ai lu récemment.

Du coup, quel est le rôle de l’école ?

En 2016, Usbek et Rica publiait Réinventons l’école de la République. L’objectif de l’article est de proposer des idées qui permettraient de revoir l’éducation nationale. Beaucoup critiquent l’écart qu’il y a entre les méthodes d’enseignement, qui ont été construites il y a plusieurs dizaines d’années, et le fonctionnement du monde actuel.

L’une des propositions qui est faite est de faire une évaluation par compétences pour remplacer les notes. Pourquoi ? Parce que l’idée de notation amène directement une idée de classement, et c’est souvent sur ces notes et classements que se jouent la suite des études et donc l’insertion dans la société.

Résultat : beaucoup d’élèves voient l’école comme un tremplin vers le monde de l’emploi. Sauf qu’en fait, là encore ça dépend quel rôle on donne à l’école. L’article cite justement deux personnes qui veulent qu’on dissocie l’école de l’empoi :

Les miens, je leur dis souvent que l’école, ça ne sert à rien. Et c’est ça la beauté du truc ! C’est ce moment où on vous apprend gratuitement la beauté du savoir.

Maud Granger-Rémy, prof de lettres

Il faudrait affirmer de façon extrêmement claire qu’il n’y a aucun rapport entre l’école et le marché du travail et qu’elle n’a pas à s’occuper de cela […].

Franck Lepage, co-fondateur de « Le Pavé » (coopérative d’éducation populaire)

Dans ces deux citations, on retrouve bien l’idée que l’école sert juste à apporter des connaissances, pas nécessairement à créer des futurs salariés. On pourrait presque aller plus loin en disant que c’est justement à une entreprise de faire ça. Ça résonne d’ailleurs avec un slogan que j’ai entendu dans un podcast : « Hire for personality, train for skills ». Ici, on pourrait dire que l’école s’occupe de la personnalité, et que l’entreprise s’occupe de la formation.

Conclusion

Finalement, dès qu’on y réfléchit un peu, on se rend compte que l’apprentissage n’est ni bien ni nul, mais il permet de donner une certaine coloration à son parcours. Si on choisit l’apprentissage, on risque d’avoir plutôt affaire à de la formation, et sinon on aura plutôt affaire à de l’enseignement. Et après, chacun se place selon ses envies. Et comme toujours, il ne faut pas forcément voir ça comme des pôles, mais plutôt comme les bornes d’un spectre.

Allez hop, encore un article sur l’éducation sur ce blog ! Mais bon, je n’étais pas trop inspiré pour d’autres idées, et cette idée de séparer les notions d’enseignement et de formation me paraissait intéressante !

J’espère que l’article vous aura plu ! La semaine prochaine, ça sera une critique de livre !

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