Ok, aujourd’hui on va bitcher. Au risque de la jouer un peu vieux con, je voudrais parler de ma vision des choses concernant l’utilisation des mots anglais en français. Il risque d’y avoir pas mal de mauvaise foi, mais le fond de l’idée reste vraie.
Contexte
L’autre jour, je regardais une conférence TED. L’oratrice parlait de l’évolution du travail à travers son parcours à elle, qui l’a amené à créer une structure qui aide les individus ou les entreprises à naviguer dans ce mode du travail. Ok, aucun soucis, c’était très « TED talk » dans l’esprit, avec un discours assez calme et posé, une histoire personnelle et comment elle a changé la vie de celle qui parle. Aucun soucis pour moi.
Et à un peu plus de la moitié de la présentation, elle prononce la phrase suivante :
C’est là que j’ai initié somanyWays, une association qui avait vocation à addresser cette problématique de la transformation du rapport au travail et de ses conséquences sur notre société.
Anaïs Georgelin
Il n’y a rien qui vous perturbe dans cette phrase ? Eh bien moi si. Je ne comprends pas l’emploi du verbe « addresser ». Et c’est de ça qu’on va parler aujourd’hui.
Attention, ici je vais bitcher sur l’emploi d’un mot particulier, je n’ai aucun problème avec Anaïs Georgelin. Il s’agit juste du dernier exemple en date que j’ai de l’emploi de ce verbe, donc c’est de là que je pars pour exposer mon idée.
C’est quoi ce verbe ?!?
Sérieusement, c’est quoi ce verbe ?!? C’est un verbe qui n’existe pas du tout ! D’après le dictionnaire en ligne Larousse, il existe un verbe « adresser » (avec un seul « d ») pour lequel 4 définitions sont proposées :
- faire parvenir quelque chose à quelqu’un, le lui envoyer directement (adresser une lettre à un ami),
- diriger quelqu’un vers une personne, un service (adresser un malade à un spécialiste),
- proférer, dire quelque chose qui le concerne à l’intention de quelqu’un (adresser des compliments, des reproches à quelqu’un),
- et adjoindre une adresse à une information (en informatique).
Pourtant, on sent bien que dans la phrase du TED talk, le verbe utilisé ne rentre dans aucune de ces définitions ! Mais alors, d’où ça vient ?
Eh bien c’est un terme issu du verbe « to address », pour lesquelles plusieurs traductions sont proposées par WordReference, parmi lesquelles:
- s’adresser à quelqu’un,
- s’occuper de quelque chose,
- écrire l’adresse sur quelque chose,
- et enfin une définition proche de « dire quelque chose qui le concerne à l’intention de quelqu’un « .
Et là, on sent qu’on touche à quelque chose de plus proche de qu’à voulu dire l’oratrice ! Dans sa phrase, on est plutôt proche de « s’occuper de quelque chose », voire même « résoudre » presque.
Donc voilà, maintenant qu’on sait d’où ça vient, j’ai une deuxième question à poser :
Pourquoi ?!?
Mais oui ! Pourquoi est-ce qu’on emploie ce mot ?!? Selon moi, il y a deuxcauses principales : c’est un mot proche d’un mot français et c’est un mot du monde des startups.
C’est proche d’un mot français
On l’a vu dans la partie précédente, « addresser » se prononce pareil et s’écrit presque pareil qu' »adresser », donc je pense que ça peut d’abord s’expliquer par un certain « confort ».
Finalement, on pourrait presque voir ce verbe comme un faux ami qu’on rencontre souvent lorsqu’on navigue entre français et anglais. Par exemple, le mot « souvenir » existe en anglais, mais si on veut demander « Quel est ton meilleur souvenir de vacances? », il faut dire « What’s your best holiday memory? ». En effet, en anglais « souvenir » sert plutôt à désigner les objets qu’on ramène en souvenir, pas les pensées. Mais ça n’empêche pas des gens d’utiliser « souvenir » en anglais même pour désigner les pensées.
Eh bien finalement, je pense que c’est pareil avec adresser. Puisque le mot existe en français, on pourrait presque penser que l’un est la traduction de l’autre et donc utiliser ce verbe comme si de rien n’était. D’autant plus qu’encore une fois, grâce au fait qu’il sonne français, personne n’est vraiment susceptible de remarquer.
C’est un mot du monde des startups
Je pense que l’autre cause qui explique tout ça, c’est que c’est un terme que l’on retrouve beaucoup dans le monde des startups, qui est un monde mené par les anglophones. D’ailleurs, même le mot startup est anglais finalement.
Pour mieux comprendre cette idée, je pense qu’on peut partir d’une phrase très simple de Seth Godin:
People like us do stuff like this.
Seth Godin
C’est très élémentaire dit comme ça, mais ça en dit beaucoup sur la dynamique des groupes, plus que ce qu’on pourrait penser au premier abord. L’idée, c’est que selon le groupe auquel on appartient (ou souhaite appartenir), il existe des choses à dire, à faire, à penser, etc. Et donc, lorsqu’on fait partie de ce groupe (ou qu’on le souhaite), on se retrouve à dire/faire/penser ces choses, plus ou moins consciemment.
Et selon moi, c’est un peu ce qu’il se passe ici. Plein d’anglophones font des startups, donc il y a plein de discours dans lesquels ce verbe va revenir, et puisqu’il ressemble à un verbe en français, on va avoir tendance à l’utiliser pour indiquer qu’on fait partie du groupe, ou alors pour se faire comprendre des membres du groupe.
Donc finalement, c’est bien ou pas ?
Une fois qu’on a dit tout ça, qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien, dans un premier temps, on pourrait se dire qu’il y a forcément une manière de faire passer la même idée avec des mots français. Qu’est-ce qu’il pourrait y avoir ?
- « une association qui avait vocation à (tenter de) répondre à cette problématique »,
- « une association qui avait vocation à s’occuper de cette problématique »,
- « une association qui avait vocation à s’employer à cette problématique »,
- voire même « une association qui avait vocation à résoudre cette problématique ».
Mais finalement, on se rend compte qu’on touche vite des limites. L’avantage d' »addresser », c’est qu’il amène une certaine nuance. Tel que je le comprends, autant il y a clairement cette idée de faire face à un problème, autant il n’y a pas forcément l’idée d’apporter une seule et unique réponse à cette problématique (comme « résoudre » le suggère je trouve). Pour moi, utiliser « s’employer à » est pas mal, mais ça ne se dit plus dans le langage courant aujourd’hui.
Alors quoi ? Eh bien, on peut aussi accepter que la langue française est une langue vivante et qu’elle évolue. Avant, on adressait des lettres, des personnes ou des remarques à quelqu’un, eh bien maintenant on peut imaginer adresser des problèmes (allez, ne gardons qu’un d pour la peine).
Je pense que c’est comme beaucoup d’autres mots venus de l’étranger qui sont classiques et habituels pour nous maintenant, mais qui ne l’étaient pas il y a quelques années. Et c’est pour ça que je pense que ce côté « grammar nazi » est vite dangereux. En effet, à être trop rigide sur la manière de parler ou écrire une langue, on la condamne un peu à mort. On retrouve un peu une critique similaire dans une vidéo de Linguisticae.
Et puis, après tout, l’idée de la présentation était de parler de ce que faisait l’association de la présentatrice. Est-ce que l’objectif est atteint ? Oui, donc finalement, est-ce que le choix du mot est si important ?
Voilà pour aujourd’hui ! Un article qui parle de mes propres contradictions, avec mon côté psycho-rigide qui aime bien employer les bons mots pour les bonnes idées, et de l’autre un côté plus relax qui fait plutôt attention à l’idée globale. En tout cas, j’espère que l’article vous aura plu !
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