Le titre doit paraître bien obscur, mais je vais détailler deux exemples qui montrent le fait qu’on s’attache à un service malgré le fait que la société qui le propose ne soit pas très enviable.
Deux exemples
Pour illustrer cette idée, je vais prendre l’exemple de deux entreprises, Deliveroo et Uber, pour illustrer deux choses : le travail précaire et le harcèlement sexuel.
Deliveroo et le travail précaire
J’imagine que tout le monde connaît Deliveroo. C’est une entreprise qui propose une application qu’on utilise pour commander des repas. Les repas sont livrés par des coursier.ère.s, qui ont le statut d’auto-entrepreneur, qui sont souvent à vélo.
Le service qu’on aime bien, c’est justement le fait de pouvoir commander facilement un repas et de ne pas avoir d’effort à faire pour le récupérer. Par exemple, quand je retrouve ma copine, au moins l’un de nous a fait au moins 3h de train, donc on est bien content de se dire que quelqu’un nous prépare un repas pendant qu’on profite de nos retrouvailles.
Mais ce sur quoi on ferme les yeux, ce sont les conditions de travail des coursier.ère.s, qui sont souvent très précaires. Ayant le rôle de plateforme et opérant dans un secteur encore peu régulé, Deliveroo fait un peu ce qu’elle veut, notamment sur la rémunération des coursier.ère.s. Mais du point de vue du client, c’est quelque chose de totalement transparent, donc ça n’entre pas dans notre esprit lorsqu’on commande à manger.
Uber et le harcèlement sexuel
Uber a un fonctionnement similaire que Deliveroo, mais cette fois-ci, le service proposé est une course en voiture avec chauffeur, à la manière d’un taxi.
Le service qu’on aime bien ici aussi, c’est la facilité d’utilisation. Personnellement, Uber n’est pas dans les villes où j’habite, mais je sais que beaucoup de personnes l’utilisent. L’un des arguments avancés par Uber est notamment une meilleure sécurité, notamment pour les femmes qui risquent les agressions dans les transports ou dans les taxis.
Mais ce sur quoi on a fermé les yeux, c’est l’environnement toxique d’Uber face au harcèlement sexuel. Et ça se produit à deux échelles. À l’échelle de l’entreprise avec les accusations de harcèlement sexuel en 2017. Mais aussi à l’échelle des utilisateurs, avec notamment la campagne #UberCestOver qui permet à de nombreuses femmes de témoigner sur les agressions sexuelles et viols qu’elles ont subis, et faces auxquelles Uber n’a rien fait, ni au moment des faits (pour celles qui ont eu la force de le signaler), ni maintenant que les témoignages pleuvent.
Pourquoi ça arrive ?
Dans le cas de Deliveroo, on se retrouve dans un phénomène de « winner takes all ». C’est à dire que sur un marché donné,il y a plusieurs acteurs qui se partagent les produits, et si l’un des acteurs obtient un avantage, ça finit par faire boule de neige et il finit par avoir le monopole.
Un autre exemple de « winner takes all » est Facebook. Facebook est leader dans son domaine car elle a réussi à capter l’ensemble des utilisateurs. Et puisque tout le monde est sur Facebook, peu de gens sont ailleurs, donc aucun intérêt à changer de réseau social, donc Facebook a le monopole. Et si un scandale vient secouer Facebook, on observe que beaucoup de gens ferment leur compte pour ouvrir un compte Instagram … qui est détenu par Facebook.
L’autre conséquence de cette situation de monopole, c’est que l’entreprise peut plus ou moins faire ce qu’elle veut. Surtout que les sociétés actuelles bénéficient d’un flou juridique, que ça soit sur le droit du travail (pour Deliveroo) ou la propriété des données (pour Facebook), qui leur permet de continuer à opérer sans risque à court terme. Et puisqu’à long terme, le service s’est imposé (du moins c’est l’objectif) il est plus facile de peser sur les décisions politiques via des lobbys.
Dans le cas d’Uber, le problème est beaucoup plus structurel. Ce que je veux dire par là, c’est que la société entière est patriarcale, et donc le management de l’entreprise et le comportement des chauffeurs n’est pas spécifiquement propre à Uber selon moi. Cependant, Uber est responsable de la manière dont elle réagit à ces accusations. Et lorsqu’on voit les faibles réactions concernant l’affaire #UberCestOver, on voit qu’il y a vraiment du chemin à faire.
Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Sur le moment, en écrivant ce post, je pense à 3 pistes : le boycott, les contraintes internes et les contraintes externes.
Le boycott, c’est la solution la plus radicale. En partant de l’idée qu’utiliser un service, c’est soutenir l’entreprise qui le développe, si l’entreprise agit contre les valeurs auxquelles on est attachées, on peut choisir d’arrêter d’utiliser ce service.
C’est l’une des solutions les plus radicales, et si elle est menée à grande échelle, peut mener l’entreprise à réagir. En effet, puisque l’entreprise fait son argent grâce à ses clients, s’ils ne sont plus là, elle finit par mourir. Cependant, j’ai du mal à sentir si elle est très efficace. Je repense aux suites du scandale Cambridge Analytica, et malgré les appels au boycott, je pense que Facebook n’en a pas tant souffert d’un point de vue business. C’est notamment dû à cet effet « winner takes all ».
Une autre solution est la contrainte interne. C’est-à-dire que les clients font pression sur l’entreprise pour obtenir un changement donné. En général, c’est une situation qui va précéder le boycott. Là, ça dépend de la personnalité des clients et de la culture d’entreprise, puisqu’elle peut tout à fait choisir d’ignorer les remarques qui lui sont faites. Néanmoins, ça reste une solution.
Restent enfin les contraintes externes, notamment à travers le droit. Ce sont des solutions qui commencent à revenir dans le débat public. Après environ 10 ans à croire que ces entreprises allaient révolutionner le monde, on se rend compte que derrière une prétendue avancée, il y a souvent un certain recul, et c’est là qu’on peut avoir besoin des lois pour nous protéger. Encore faut-il que les politiques soient sensibles à ces problématiques, ce qui ne fut pas le cas pendant longtemps concernant les entreprises de la tech numérique.
Conclusion
J’ai pris deux exemples, mais il y en a plein d’autres. Par exemple, on pourrait parler de la dissociation entre l’iPhone qu’on aime et le fait qu’Apple ne paie pas ses impôts. On pourrait aussi parler d’Amazon qui vend tellement de choses mais qui tue l’innovation. Pour donner des exemples moins technologiques, on peut parler des chaussures Nike et du travail des enfants. Les exemples ne manquent pas.
Mon propos ici n’est pas forcément de passer pour un sain, je suis toujours sur Facebook et je commande encore sur Deliveroo. Mais je pense qu’il est important d’utiliser ces services en ayant conscience de l’entreprise derrière, même si on a parfois du mal à (ou on ne veut pas) le voir.
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