Cette semaine, critique littéraire ! J’ai passé la fin de l’été à lire « Les Furtifs » d’Alain Damasio. C’est la première fois que je lisais un livre de cet auteur, mais j’en avais beaucoup entendu parler (du livre et de l’auteur), donc j’ai tenté !
Le pitch
L’histoire se passe dans une France du futur, où tout jusqu’au villes est privatisé. On suit l’histoire de Lorca, un ancien sociologue qui s’est reconverti dans l’armée. Plus précisément dans une branche militaire dédiée à la chasse de créatures particulières : les furtifs. Les furtifs seraient des créatures invisibles par les humains, donc personne ne peut vraiment prouver leur existence. De plus, dès qu’on croit en voir un, il se fige et se transforme en céramique. On suit donc les aventures de Lorca, de ses collègues et de son ex-femme Sahar, à mi-chemin entre une enquête policière sur la disparition de Tishka (la fille de Lorca et Sahar), et une réflexion sur les rapports entre espèces humaine et furtive.
Alors, qu’est-ce que j’en ai pensé ? Eh bien voici quelques éléments qui m’ont attiré au fil de la lecture
Une utilisation très forte de la mise en page
Ce qui me frappe en premier en lisant ce livre, ce sont tous les choix de mise en page faits par l’auteur. Pour commencer, chaque personne dispose d’un signe qui lui est propre. Ainsi, puisque l’histoire se vit à travers différents points de vue, on sait dans la tête de quel personnage on est grâce à l’utilisation de ce signe au début des paragraphes.
Ensuite, les polices aussi varient. Déjà, pour chaque personnage, certaines lettres sont modifiées en fonction du signe du personnage. Par exemple, certaines lettres auront des cédilles ou des accents qu’on ne trouverait pas en langue française. Je me demande sur quel logiciel le livre a été rédigé, mais ça n’a pas dû être simple avec le correcteur ! Les polices peuvent aussi varier selon les types de personnes qui parlent (les protagonistes principaux, ou des protagonistes secondaires).
Enfin, il y a une grande liberté sur l’alignement du texte. Même si globalement, tout le texte est justifié, il y a certains choix que je trouve intéressants. Je pense notamment à une scène d’amour où les pensées du premier personnage sont alignées à gauche et celles du second personnage à droite. Après avoir fait l’amour, ils ont chacun leurs pensées, donc à chaque ligne du livre, l’alignement du texte change, mais petit à petit elles se dirigent vers le centre, pour signifier que les deux personnages finissent presque par fusionner.
C’est la première fois que je vois autant de choix aussi forts faits dans un livre, et même si ça brouille parfois la lecture, on sent qu’on est totalement dans un univers !
Beaucoup de jeux sur le son en général et les sonorités des mots
L’autre chose qui marque en lisant le livre, c’est la forte place du son, autant dans l’histoire qui est racontée quand dans l’écriture elle-même.
Tout d’abord, dans l’histoire, le son joue un rôle important. Puisque les furtifs ne peuvent pas être vus, les humains les perçoivent essentiellement par les sons qu’ils génèrent pour leurrer ceux qui les chassent. Le son constitue également une sorte de carte d’identité d’un furtif, chaque furtif ayant un son qui lui est propre. Ensuite, dans certaines scènes, le fait de jouer de la musique, ou de produire un son ou une vibration de manière générale, peut avoir des conséquences fortes.
Mais ce qui est aussi très étonnant, c’est la sonorité des mots. Puisque les furtifs s’expriment par le son, il faut pouvoir retransmettre ça par écrit, ce qui n’est pas forcément simple. Et il y a plein de passages dans le livre dans lequel il y a beaucoup d’utilisation d’assonances, d’allitérations, de rimes, de jeux de mots, etc. Ce qui fait que si on lisait le texte à voix haute, la parole chanterait naturellement. Encore une fois, comme l’utilisation des polices, même si c’est parfois un peu lourd, c’est quand même très intéressant de voir que l’auteur est allé aussi loin dans l’écriture.
Une histoire plus large d’actualité
Le cœur de l’histoire concerne la recherche de Tishka, la fille de Lorca et Sahar. Mais plus globalement, l’histoire parle des furtifs, ces créatures invisibles, presque impossible à capter. Sachant que l’histoire se déroule dans une ville où tout a été racheté (forte idéologie capitaliste) et où tous les citoyens sont contrôlés (avec une bague qui collecte la moindre donnée qu’ils émettent), les furtifs deviennent alors un rêve de liberté ou une menace selon les protagonistes.
C’est précisément cette réflexion qui m’a fait venir vers le livre. Elle se retrouve traitée d’une manière très différente de ce que j’imaginais, mais on retrouve une forte critique du capitalisme à outrance et de la collecte des données. C’est sûr, la collecte des données permet de créer des choses superbes, mais cela ne profite généralement qu’à un petit nombre de personnes. Dans le livre, on retrouve des personnages ayant des emplois précaires (à la manière des livreurs de repas actuellement), et une séparation de la ville en zones auxquelles on peut accéder ou non selon notre statut.
Alors évidemment, le récit est fortement dystopique, mais je trouve que ce sont des réflexions qu’il faut avoir. Personnellement, je trouve qu’il est important de comprendre comment marchent la plupart des services aujourd’hui (collecte des données, travail sur l’expérience utilisateur pour maximiser l’attention, création d’emplois précaires, etc). Et ainsi, de pouvoir les utiliser de manière consciente, ou alors carrément de les arrêter si ces services ne sont pas en accord avec nos valeurs ou notre vision du monde.
S’il fallait des remarques …
… je parlerais d’abord du découpage des chapitres. Le livre fait environ 700 pages et est découpé en 23 chapitres. Ce qui fait que chaque chapitre fait 30 pages, donc pour une personne comme moi qui a l’habitude de livre chapitre par chapitre, ça prend vite du temps ! Je n’ai pas de compte exact, mais je dirais que chaque chapitre m’a pris au moins une heure. Du coup, c’était parfois compliqué de maintenir mon attention (surtout avec ce que je dis au-dessus concernant les jeux d’écriture).
Cependant, c’est à nuancer, car juste avant ce livre, j’en avais lu un autre aux chapitres très courts, donc j’étais biaisé. De plus, je lis beaucoup moins fréquemment qu’avant, donc je pense que ma vitesse de lecture n’est pas très élevée par rapport à des lecteurs habitués.
Ensuite, je trouve qu’il y a des ellipses narratives assez fortes et qui peuvent parfois bloquer la lecture. J’ai parfois eu le sentiment que certains chapitres arrivaient bizarrement car même si leur propos sert l’histoire, on doit prendre du temps pour situer l’action car il n’y a pas forcément de lien (spatial ou temporel) avec le chapitre précédent. Je pense notamment à un chapitre avec une connotation très spirituelle dans le premier tiers du livre, j’ai pas trop compris ce qu’il venait faire là. Mais bon, je pense que ça vient aussi de ma manière de lire et d’écrire …
Conclusion
Je suis très content d’avoir fini ce livre, d’autant plus que le dernier tiers est vraiment très intéressant, ça bouge beaucoup ! Il y a plusieurs fois où j’ai failli céder et m’embarquer dans le chapitre suivant pour savoir ce qu’il se passait ! Le thème était très intéressant et certains aspects dans la fin de l’histoire sont assez inattendus ! Donc si vous souhaitez vous y attaquer, prévoyez du temps pour vous attaquer aux longs chapitres qui vous attendent, mais ça vaudra le coup !
J’espère que cette critique vous aura donné envie de lire livre ! D’ici là, à la semaine prochaine !
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